Dit de la Feur d'
Or
"Or elle n'a été ni Brise, ni Aurore, ni Etoile, ni Rivière, ni Déesse de l'eau, elle n'était qu'une simple femme. Mais quelle femme! Celle que pour l'éternité on connaîtra sous le nom de la FLEUR d'OR, la grande Anacaona qui, la première dans les Amériques, se leva contre les Conquistadores, tu ne peux pas t'imaginer quelle femme elle a été... Honneur à Ahity la belle! La Fleur d'Or a triomphé parce que de toute façon le peuple Chémès devait périr en tant que peuple, ce qui eut lieu pendant les jours qui ont précédé le Jour du Sang, la Fleur d'Or le donna à notre terre pour l'éternité et il ne fut jamais perdu. Notre Cacique Henry l'a transmis au peuple de 1804. Nous sommes tous fils de la Fleur d'Or... Devant la redoute de Vertières la Fleur d'Or volait et dansait au-devant des bataillons fanatisés de l'empereur Dessalines."
Jacques Stephen Alexis
"Persone ne peut se représenter cette femme, la grande Samba. Les pieds de la Fleur d'Or étaient plus beaux que ces scarabées rouges et or du Plateau Central, ils étaient cambrés, polis, intelligents et ses orteils étaient de véritables bijoux vivants, vifs et prompts. Ses jambes couleur de nacarat, ses jambes tendres, impatientes et douces comme de belles cannes créoles. Sa croupe était un nard, deux oeufs du délice suspendus dans l'espace, double-croche musicienne, petits soleils gémellaires aux lentes librations! Ses reins, coquille mélodieuse, volute d'aromates, lambi rose. Son ventre dessiné et redéssiné par sa respiration se mouvait comme la gélatineuse, la vitreuse, l'éternelle méduse de la vie, son torse était l'élan, la forme, la force, la grâce et la carnation de l'amour lui-même. Ses seins d'un jet modulés, circonscrivaient la poire, l'olivette, le muscat, la joyeuse et philosophale orbe des saisons. Quand elle élevait ses mains jointes, l'ogive lancéolée de ses bras montait au ciel telle une
prière matinale. Leur mouvement avait une telle splendeur une telle grâce dans l'envol, ses hanches ondulaient avec une telle souplesse, ses jambes ramaient l'air avec une telle perfection que c'était presque cruel, presque inhumain d'atteindre à une telle beauté! L'immense ovale, la vulve noire de ses yeux s'ouvrait tels les songes inachevés. La parabole, la débandade, l'ordre nocturne de ses cheveux tombait d'un coup comme le rire ténébreux des tropiques!
Quand Anacaona dansait, elle recréait l'arcane mystérieuse de la joie, toutes les cadences du sourire, les spirales et les arabesques de la gelée vivante au long des printemps. Elle dansa toutes nos Joies Anciennes. Oui, le pas de la Reine était pur et simple comme celui de la lumière, il semblait que le jour se levait sur la nature endormie, son corps était une énorme goutte de rosée. Anacaona dansa toutes les Joies Anciennes de la Quisqueya la Belle et même, à un moment, la nuit sembla jaillir de l'immense, de l'irréelle nuitée de ses cheveux
bleus. Une folle giration anima soudain la Fleur d'Or. Elle était devenue Boinatel, le Dieu-Soleil!
Son corps arqué et frémissant firent revoir toutes les chatoyantes couleurs des couchers du soleil Caraïbe. Ah! que la Fleur d'OR était grande et belle ce jour-là, toute merveille et véritable astre du matin. Quand la Reine chantait le grand Areyto des Papillons Noirs ou l'oiseau lumineux du plaisir, quand la Fleur d'Or poétisait et disait le grand récitatif du bonheur, la Caraïbe entière se sculptait de silence, le jour arrêtait sa marche et la nuit venait écouter, songeuse et immobile..."
(Jacques Stephen Alexis)
Extraits de "Romancero aux Etoiles" publiè chez Gallimard (France) en 1960.
Né le 22 avril 1922 à Gonaïves, Jacques Stephen Alexis fut assassiné en 1961.
"Avant tout et par-dessus tout fils de l'Afrique, je suis néanmoins héritier
de la Caraïbe et de l'Indien Américain à cause d'un secret cheminement
du sang et de la longue survie des cultures après leur mort." (JSA)
Editor: In memory of Romeo Montas