Notre Père pour des
temps difficiles...
Seigneur, apprends-nous à prier
Avec l’esprit de tous ces justes qui ont travaillé
·
pour que la lumière luise dans les
ténèbres
·
pour que le cri des pauvres soit entendu.
Avec l’esprit de
·
Karl Lévêque, mort
après le 7 Février 1986 et ayant combattu
pendant
plus de vingt ans le régime qui faisait régner la terreur chez nous.
·
Raoul Léger, laïque acadien assassiné au Guatémala
à
cause de son engagement aux côtés du peuple.
·
Oscar Roméo, evêque
salvadorien, abattu par un escadron de la mort
parce
qu’il était un farouche défenseur des droits humains dans son pays.
·
Martin Luther King, victime d’un racisme
violent
alors
que lui-même prônait la non-violence.
·
Willy Romelus,
un de nos évêques dont la voix prophétique
dénonce
les injustices faites au peuple.
·
Julia Esquivel,
femme pasteur et poétesse qui se fait une voix
pour les sans-voix de
l’Amérique latine.
Avec surtout l’esprit de ton Fils que ton amour nous a donné
pour Rédempteur et Sauveur.
Notre Père
·
Père
de Jean-Robert Cius, Daniel
Ismaël, Makenson Michel,
Assassinés par balle en novembre 1985 dans la
cour de leur école
Et
notre Père à nous
·
Père
de Christophe Channel,
tué par balle, au Cap-Haitien, alors qu’il était assis
dans son échoppe de tailleur devant la machine à coudre
Et
notre Père à nous
·
Père des fusillés et électrocutés de Fort Dimanche
Et
notre Père à tous
·
Père
de Bernadette Victor, Vladimir David,
de tous les jeunes hommes et jeunes femmes abattu-e-s par l’armée
celles et ceux dont nous avons retenu les noms
ou qui sont tombés anonymes lors des manifestations
pour la justice, le respect des droits humains
et de la vie.
Et
notre Père à tous
·
Père
de Charlot Jacquelin de la Mission Alpha,
enlevé à sa femme enceinte, en septembre 1986,
et disparu depuis
Et
notre Père à tous
·
Père
des 1042 paysans de Jean-Rabel assassinés
ou blessés à coup de machette.
Et
notre Père à tous
·
Père
de tous ceux et de toutes celles que la vie meurtrit et dégrade
parce que sur leurs conditions misérables
d’existence reposent :
§
l’instruction
de la petite bourgeoisie
§
le
luxe insolent des sangsues qui nous collent à la peau
§
la
richesse des voleurs
§
la
fortune des « compradores »
§
le
niveau de vie élevé des pays riches
§
les
dépenses astronomiques pour l’armement
Et
notre Père à tous
·
Père
des pauvres et de tous les persécutés de la terre que tu as choisis
pour créer un nouveau modèle de société et d’Eglise.
Et
notre Père à nous
·
Père
de toutes celles et de tous ceux qui
paieront de leur vie
les changements à venir.
Et notre Père à nous
Père, notre Père à nous
Pourquoi ce silence?
Où étais-tu quand ils nous
assassinaient ?
Quand notre sang fécondait
la terre d’Haiti ?
Quand notre sang arrosait
le sol et le maculait d’une tâche rouge,
plus rouge que le soleil, plus brûlante qu’une
flamme ?
Pourquoi les laisses-tu
faire un si mauvais usage de leur liberté?
Pourquoi ne te manifestes-tu
pas?
Si tu te dérobes, qui sera
notre recours?
Ils disent que nous n’avons
pas de Père
…mais je sais que tu es là
…et que tu me veux du bien.
Qui es aux cieux
Père, notre Père à tous,
Où est donc ce ciel où tu es
et qu’autrefois on nous promettait
en gage de récompense pour les souffrances
que nous avons connues ici-bas?
Aujourd’hui, tu nous
prescris de ne pas nous résigner,
de conquérir cette terre nouvelle et ces
cieux nouveaux,
gages de ton alliance avec nous et
préfiguration de ton Royaume parmi nous.
Ils disent que notre Père
est au-delà des nuages.
Et pourtant, nous
professons que tu es
·
parmi
nous
·
même
parmi ceux qui nous déchirent, qui nous torturent, qui nous crucifient
·
toujours, malgré tout, leur Père
à eux, leur Père douloureusement affecté
par
le mauvais usage qu’ils font de leur liberté.
Père très aimant
Père crucifié
Père qui nous laisse libre
Que ton nom soit sanctifié!
Que ton nom soit sanctifié!
Béni sois-tu par l’épreuve qui
nous arrive.
Tu n’aurais pas permis
qu’un seul de nos cheveux tombe si tu ne savais
o que nous avions la force d’endurer tout
cela
o que nous avions le courage de supporter
tout cela et plus encore
jusqu'à ce que notre souffrance devienne notre
seule arme
o que nous avions une arme absolue contre
laquelle nos ennemis ne peuvent rien
Béni sois-tu!
Béni sois-tu pour
l’espérance qui pointe au-delà de la répression
et pour la vie qui changera et sera
meilleure
Béni sois-tu!
Béni sois-tu surtout pour la
force que tu nous donnes et qui permet de
·
nous
opposer
·
de
combattre avec opiniâtreté
·
de
lutter avec ténacité
·
de
vaincre
Béni sois-tu!
Car nous savons que nous
vaincrons et qu’alors nous pourrons bénir ton nom
dans d’autres conditions avec des ressuscités
au bonheur, au bien-être,
à la fraternité...
Toi, le Dieu de la Vie,
Béni sois-tu!
Que ton règne vienne
Règne de justice
·
où
les épées deviendront des socs de charrues,
des lames de machettes, des cadres de lits
pour nos malades.
·
où
l’impôt des trieuses de café,
des marchandises de nos marchés publics,
des agriculteurs, des fonctionnaires,
n’ira plus acheter
les balles qui transperceront leurs fils et leurs filles.
Que ton règne vienne
afin que disparaissent en Haïti le système qui
tolère
·
l’enfance
en domesticité
·
les
paysans sans terre ou deux moitiés
·
l’oppression
·
la
suspicion
·
la
malédiction des espions
·
la
malédiction des délateurs
·
l’impunité
des meurtriers
afin que chacun puisse
·
manger
à sa faim
·
se
reposer sans crainte dans son sommeil
·
se
vêtir d’une robe ou d’un pantalon coupé-e à sa mesure pour elle ou pour lui
·
recevoir
le pain de l’instruction et le pain de l’éducation
afin
·
que
les malades soient soignés
·
que
les mal-logés aient un toit
·
que
les paysans retrouvent leur «kochon-kreyòl»
·
que
les dépossédés retournent sur leur terre
·
que
les prisonniers d’opinion soient rendus à leurs familles
·
que
les ports et les trottoirs soient vides de nos frères et sœurs
qui se donnent pour une poignée de dollars.
Que ton règne vienne
·
pour
que l’harmonie apparaisse
·
pour
que les sourires et les rires des enfants remplacent le rictus de la
malnutrition
·
pour
que chacun de nous puisse grandir en tant que personne humaine
·
pour
que nos dirigeants fassent de leur fonction un service
·
pour
que la terre nouvelle apparaisse en Haïti et partout dans le monde
Et que je fasse tout pour
le hâter.
Que ta volonté soit faite sur la terre comme aux cieux
Seigneur, tu me demandes de
choisir entre ton projet et tout autre projet.
Eclaire-moi!
Ouvre-moi à l’intelligence
de ton projet de Rédemption du monde,
de son baptême dans la mort de ton Fils, de
son passage à la terre nouvelle.
Ta volonté est
·
que
j’exerce ma liberté dans la justice
·
qu’en
tant que peuple, nous commandions la terre d’Haïti,
la soumettions, la gouvernions afin qu’elle serve à tous les
fils et à toutes les filles
·
que
je choisisse mon camp
·
que
je plante ma tente avec les pauvres du pays
·
que
je choisisse mon trottoir
…si je marche au milieu de la rue, je me ferai écraser
par les voitures
…si je marche du mauvais côté du chemin, les obstacles
parsèmeront ma route
…Mais si je choisis le bon trottoir, je pourrai,
Seigneur,
arriver à destination sans
encombre.
Ta volonté n’est-elle pas
·
que
je mette mes capacités, talents, dons, ce que je suis,
ce que tu as permis que je devienne, au service de tes fils
et filles
·
que
je contribue à la transformation de la terre
et que je cesse d’uniquement la contempler?
·
que
nous ayons la vie en abondance?
Que ta volonté soit faite
sur cette terre
Et que, avec ta grâce, j’en
sois un instrument.
Donne-nous, aujourd’hui, notre pain de
ce jour
Tu m’as créé(e) digne, Seigneur, à ton image et
à ta ressemblance.
Je ne quémande rien ni ne mendie. Je ne viens pas supplier.
Ce pain que j’attends de
toi c’est le fruit de mon travail.
C’est à cause de
l’oppression des hommes si je ne peux manger à ma faim,
s’il m’est impossible de satisfaire la faim de
mon corps ou celle de mon esprit.
Mon Dieu, pourquoi faut-il
o que nos matières premières se vendent à si
vil prix?
o que notre force de travail soit si peu
rémunérée ?
o que des patrons affameurs empochent le
fruit de notre travail?
Seigneur, nous en faisons
le serment, personne, haïtien ou étranger,
ne pourra plus enlever de la bouche de nos
enfants leur pain quotidien.
Nous nous
organiserons en syndicats, en groupements, en coopératives, en associations.
Et nous lutterons jusqu’à
ce que cela change car cela doit changer.
Nous avons décidé de ne
plus nous laisser tondre comme des agneaux.
C’est pour cela
·
que
nous voulons d’un changement de personnes
·
que
nous voulons un changement de société
·
que
nous voulons contrôler nos vies et notre avenir.
Oui, Seigneur, nous en
faisons le serment
·
nous
lutterons
jusqu’à ce que la richesse que nous produisons soit
équitablement partagée
·
nous
les poursuivrons en justice où qu’ils se réfugient
jusqu’à ce qu’ils rendent à notre peuple l’argent volé.
·
Ils
devront nous rendre nos emplois et rouvrir les usines.
Tu nous as donné des mains
pour travailler: nous subviendrons à nos besoins.
Et nous partagerons avec
les mal-pris, les laissés-pour-compte de chez nous et d’ailleurs,
notre pain pour qu’il ait meilleur goût
Car telle est la voie que
tu nous traces : Vivre en justice et en partage.
Pardonne-nous nos offenses
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés
J’ai tendu la joue
gauche puis la joue droite et ils m’ont frappé.
Que veux-tu
maintenant que je fasse?
Je chercherai la justice
Et quand elle m’aura été
rendue
·
Délivre
mon cœur de la haine
·
Délivre-moi
de toute obsession qui me porterait à haïr,
afin que de victime, je ne devienne pas
bourreau.
A notre peuple, ils ont
accolé tous les épithètes. Ils ont dit
·
que
nous sentions mauvais
·
que
nous étions porteurs de Sida
·
que
nous étions un risque pour l’humanité.
Ils nous ont traînés dans
la boue et ils savaient ce qu’ils faisaient.
Ils nous ont refusé
un verre d’eau, quand nous
avions soif, de peur de salir leur vaisselle
du travail, sauf lorsqu’il
s’agissait d’emplois dont eux-mêmes ne voulaient pas.
Ils ne nous ont même pas
reçus sur le seuil de leurs maisons. Ils
nous refoulaient partout.
Ils nous ont meurtris dans
les Bateys, dans les prisons de Krome,
à Cayo Lobos…
Ils ont fait de nous des
« Boat people » et ont exposé nos cadavres sur les plages de Miami.
Ils ont fait de nous un
peuple déraciné par l’exil.
Du corps de nos sœurs, ils
ont fait une marchandise offerte au plus offrant
dans leurs maisons closes et
leurs boîtes de danseuses nues.
Leurs chevaux nous ont
piétinés et leurs policiers, insultés.
Fais qu’en nous il n’y ait
jamais de haine pour tout ce que nous avons subi.
Mais qu’au contraire,
prenant exemple sur les justes de leurs sociétés,
de celles et ceux qui nous ont accompané-e-s de leur solidarité,
de leur amour et de leur fraternité,
nous travaillons à leur conversion.
Ne nous laisse pas succomber à la
tentation
Seigneur, viens habiter
nos engagements afin que nous ne succombions pas à la tentation
·
du
pouvoir, de l’argent, de l’intolérance, de la cupidité, de l’égoisme,
·
du
désir de devenir président ou d’être chef
·
de
fermer les yeux, les oreilles, notre cœur…pour ne pas voir, ne pas entendre,
ne pas reconnaître les revendications justes, mais
dérangeantes du peuple
·
de
rester silencieux et de se faire complice
de ceux qui exploitent, éliminent, maltraitent, dominent le
peuple
·
de
dire de tous les porteurs de changements qu’ils sont des communistes
Rends-nous disponibles pour
saisir ta présence et tes appels au cœur des invitations,
des informations contradictoires qui nous
sont présentées.
Que grandisse en nous
l’esprit de service qui guidera nos choix à la suite de ton Fils.
Délivre-nous du mal
·
En
vert olive, en bleu de chauffe ou en kaki
·
Du
mal craché par les Uzi, les Ghalil,
les Springflield
que nous ne produisons pas
et qui sont achetés avec les taxes sur le café, le sucre,
ou qui sont donnés à nos dirigeants.
·
Du
mal conçu dans les officines de l’aide internationale,
qui déstabilise notre agriculture, désarticule notre
économie
et nous rend plus dépendants encore des autres
·
de
leur riz
·
de
leur «kochon-grimèl»
·
de
leur «manje sinistre»
·
de
leur «pèpè»
·
de
leur volonté de puissance.
·
Du
mal qui au fond de nous-mêmes, nous fait renier nos origines
et devenir bourreau de nos frères et sœurs.
Je chanterai Seigneur un
cantique nouveau avec
·
le
rire de l’enfant rassasié
·
la
joie du jeune que l’on respecte
·
la
fierté de l’ouvrier qui travaille
·
l’allégresse
de la mère qu la vie comble
·
l’euphorie
du prisonnier rendu aux siens
·
l’assurance
de l’émigré en pensant à son chez lui
·
l’émerveillement
des amoureux assurés de leur avenir
·
la
beauté du pays reboisé
·
l’amitié de nos ami-e-s étranger-e-s
·
la
solidarité reçue et partagée
·
la
contemplation des merveilles que tu as faites pour nous
Je chanterai un cantique
nouveau et bénirai ton nom pour les siècles des siècles.
Alleluia!
Alleluia!
Amen!
Renaud
Bernardin (1987)