GERARD ALPHONSE  FERERE

 

 

VODOU

 

ET

 

DEMYSTIFICATION

 

A la mémoire de mon père,

l’éducateur extraordinaire Alphonse Murville Férère

qui sut allumer en moi la flamme éternelle

de l’amour de ma patrie

 


I - INTRODUCTION

 

 

C’est dans le but d’être utile à notre terre natale que nous offrons aux lecteurs cette modeste contribution à une meilleure compréhension et une plus bienveillante diffusion de ses croyances religieuses ancestrales héritées de la Mère Afrique, trop souvent mal interprétées, trop souvent calomniées.  Notre intérêt à mieux comprendre la religion majoritaire de notre pays naquit, il y a de nombreuses années, de circonstances favorables qui nous permirent d’observer ‘in situ’ pas mal d’aspects d’une si importante composante de notre culture nationale.  Grâce en partie à l’uniforme militaire que nous portions en ce temps-là et qui nous ouvrait les portes de bien des temples de Bizoton ou des petites villes de la côte où nous allions en mission, nous avions pu jouir de privilèges souvent réservés aux habitués, comme par exemple, ceux de visiter l’intérieur des ‘houmfò’, ou d’être invité à certains services.  Sans tarder, nous nous sommes rendu compte du mal-fondé de la mentalité de certains milieux de notre pays, de leurs préjugés, leurs idées préconçues, qui leur font voir le Vodou sous un visage dont ils rougissent.  En effet, le Vodou n’est pas moins une religion que le catholicisme, le protestantisme, le mahométisme, le bouddhisme, etc., et ses aspects mythologiques ne sont ni moins enchanteurs, ni moins précieux que les mythologies gréco-romaines qu’on martèle dans les cerveaux de nos écoliers, sous l’égide d’un système scolaire désuet qui ignore notre propre folklore.

 

Il est triste de constater que cette attitude négative est encore maintenue de nos jours par trop d’individus, tant étrangers qu’haïtiens qui se disent cultivés.  Hélas, un bon nombre de ceux-ci détenteurs de diplômes universitaires.  Heureusement que d’un autre côté, il y a eu dans le passé, et il y a aujourd’hui, des chercheurs honnêtes, des hommes et femmes de sciences et de lettres, tels que les Jacques Roumain, Lorimer Denis, Jean Price-Mars, Louis Mars, J.C. Dorsainvil, Melville Herkovitz, Louis Maximilien, Alfred Métraux, Milo Rigaud, René Benjamin, Yves Saint-Gérard, Laennec Hurbon, Max Beauvoir, Leslie Desmangles, Michel Laguerre, Patrick Bellegarde-Smith, et tant d’autres que nous ne pouvons tous citer..

 

“Vodou et Démystification” est un court essai sans prétention qui ne saurait nullement prétendre avoir la portée des savantes publications et études qui l’ont précédé.  Notre  but est uniquement de mettre à la disposition du lecteur laïque de tous les jours, des étudiants, des curieux, un moyen simple d’acquérir rapidement quelques connaissances de base sur la religion majoritaire de notre pays.  Nous espérons qu’une fois acquises, ces connaissances leur permettront de mieux comprendre et d’apprécier la religion et le folklore vodou, et de leur accorder le respect auquel ils ont droit.

 


En terminant cette introduction, nous voulons faire remarquer que nous avons intentionnellement choisi l’orthographe ‘vodou’, au lieu de ‘vaudou’, d’abord pour suivre la voie déjà tracée par d’illustres ainés, tels que les Lorimer Denis, J.C. Dorsainvil, Milo Marcelin, Louis Maximilien, etc.  Ensuite, nous voulons qu’il soit aussi l’expression de notre rejet de toute insinuation de relation entre le Vodou et les vaudois, secte française fondée au XIIe siècle par l’hérésiarque Pierre de Vaux, et à laquelle certains ont voulu l’associer.  On a déjà assez de mal à défendre le Vodou contre ses détracteurs, voire maintenant le laisser confondre avec une hérésie, surtout quand on sait qu’à une certaine époque, le mot ‘vaudois’ était employé pour designer les sorciers de toutes sortes.  En plus, l’orthographe ‘vodou’ se rapproche davantage de l’appellation étymologique africaine ‘voudou’ rapportée par le plus célèbre de nos pionniers, Milo Rigaud, qui reconnaît d’ailleurs que le mot est “plus communément écrit vodou ou vodu” (Rigaud 1953: 25).

 

 

 

II- IDENTITÉ THÉOLOGIQUE

 

MYTHES

          

           Victime favorite à travers les années d’écrivassiers avides de sensationnel et de gens peu informés qui l’ont dépeint comme un amas hétéroclite de rites sataniques, de cérémonies maléfiques, de sacrifices humains, de morts mystérieuses, ou de pratiques magiques, le Vodou au seuil du XXIe siècle confronte encore l’incompréhension des profanes et des étrangers.  Rien de plus faux que ces histoires cyniquement propagées par ces auteurs malhonnêtes.  C’est à ces gens que nous devons la popularité à l’étranger comme en Haïti, de racontars et de légendes auxquels on attribue à tort des origines cabalistiques, comme les histoires de zombis ou cadavres ambulants, d’êtres humains transformés en animaux et vendus au marché, de ‘baka’, de ‘voye ’, etc.  En ce qui concerne les zombis en particulier, c’est dommage que des hommes de sciences haïtiens et étrangers dont nous ne doutons pas de l’honnêteté, au lieu de s’appuyer sur des données scientifiques,  se soient laissés mystifier a priori par une prétendue mystique zombi.  Soyons clair là-dessus, la soi-disant zombification, si on veut coller ce nom aux observations empiriques rapportées par certains chercheurs, est un délit grave qui ressort du Code Pénal, et les malfaiteurs et  empoisonneurs qui s’y adonnent devraient être jugés pour meurtre ou tentative de meurtre.

 

En plus des zombis et de la zombification, ajoutons aussi que bon nombre de croyances fantasques ont leur vraie origine dans les campagnes de l’Europe: les contes de loups-garous ou de vampires, les possessions dites sataniques, le culte du diable, les messes dites noires, etc., ça fait plutôt partie du fatras superstitieux européen et a été importé en Haïti par les colons.  Il en est ainsi de la légende du ‘vodou doll’ dont raffolent tellement les étrangers, comme le rapporte René Benjamin:

 

Bien des pratiques que l’on prête aux Haïtiens n’ont pas en effet leur origine en Haïti même.  Par exemple, l’Américain moyen demande sans cesse aux immigrants haïtiens s’ils croient encore aux ‘voodoo dolls and pins’.  Ce qui semble impliquer l’origine haïtienne de la figurine.  Or, il suffit de lire l’histoire de France pour savoir que la figurine, en cire ou en bois, que l’on transperçait d’une aiguille avec l’intention de tuer le roi ou toute autre personne, était en usage même avant la découverte d’Haïti....  Au fait, c’est le Signore Cosimo Rugieri de Florence, un protégé de Catherine de Médicis, qui rendit cette pratique populaire à la Cour de France, bien qu’elle fut déjà chose courante en Europe depuis le 13e Siècle.  (Benjamin 1976:18)

 


Max Beauvoir, grand houngan haïtien, est bien placé pour répondre à ce genre d’accusations.  Ci-après, un extrait d’une interview-vidéo en anglais qu’il a eu à accorder à Mme Camille Lownds Benedict, pour Fama II Productions.  Nous devons la possession de ce document à l’amabilité de Mme Lownds Benedict elle-même:

 

Nous ne nous installons pas dans des coins ténébreux, avec des poupées sur les genoux, en train de les transpercer avec des aiguilles.  Nous ne nous livrons pas à ce genre de besogne.  Je m’imagine que ces histoires ont été propagées par les producteurs de cinéma américains  - de Hollywood, je suppose.  Eux, ce qui les intéresse surtout, c’est de vendre leurs films.  C’est ce métier qu’ils ont appris.  Mais leur comportement constitue une grave injustice envers nous les Haïtiens, injustice envers Haïti, injustice envers le Vodou.  (Beauvoir 1988, notre traduction)                                        

 

Au résumé, trop nombreux sont ceux qui ont accepté et qui claironnent la notion erronée que les pratiques magiques sont d’origine africaine.  La fausseté d’une telle assertion est affirmée par Métraux:

 

...à force de parler d’Afrique, on oublie la France dont la contribution à la magie et à la sorcellerie haïtiennes est loin d’être négligeable.  Un très grand nombre de croyances et de pratiques, soi-disant africaines, ont une origine normande, picarde ou limousine.  (Métraux 1858: 239)

 

Nul ne saurait nier la présence dans le Vodou de croyances magiques ou superstitieuses.  Mais n’est-ce pas bien là, en somme, un trait universel de toutes les religions.  Pierre Mabile, médecin et ethnologue français qui vécut de nombreuse années en Haïti soutient ce point de vue:

 

Toute religion utilise les moyens magiques, la magie étant l’affirmation que certains gestes et certaines paroles sont efficaces pour mettre l’individu en accord  avec les plans supérieurs et, par l’intermédiaire de ceux-ci, modifier l’ordre naturel des événements.  (In: Maximilien 1945, Préface, page xv)

 

CROYANCES

 

La croyance dans les êtres surnaturels constitue l’essence même de toutes les religions.  Le christianisme, par exemple, a son Dieu, son Christ, ses saints, ses anges, ses démons.  Voici ce que nous révèle Carolly Erickson à cet égard, citant Saint Jérôme,  Docteur de l’Eglise Latine, et Isidore de Seville, théologien espagnol:

 


D’après Saint Jérôme, ‘la masse humaine n’est rien quand on la compare à la grande multitude d’êtres surnaturels et séraphiques.’  Jérôme à ce sujet a été mentionné dans les ‘Etymologiae’ d’Isidore de Séville qui, dans un autre ouvrage, les ‘Differentiae’, a décrit les démons comme les forces qui ‘tourmentent les sens, déchaînent les basses passions, désorganisent la vie, causent les maladies, remplissent l’âme de terreur, déforment les membres, contrôlent le destin, nous induisent en erreur en nous présentant de faux augures, excitent les passions sensuelles, se masquent sous le couvert d’images consacrées; quand on les invoquent, ils apparaissent.  (Erickson 1976: 17, notre traduction)

 

Le Vodou haïtien, pas moins que les autres religions, a son credo et son panthéon d’êtres surnaturels, ‘zanj’ ‘espri’, ‘lwa’, etc., avec leurs représentations iconographiques ou ‘vèvè’.  Il a ses rites, sa liturgie, ses prêtres ou ‘houngan’, ses prêtresses ou ‘manbo’, ses initiés, ses temples ou ‘houmfò’, ses cérémonies, ses dates festives, etc., tout l’appareillage auquel on pourrait s’attendre d’une religion.  L’identité théologique du Vodou est donc claire, et nous sommes tout à fait d’accord avec la réponse de Yves Saint-Gérard:

 

A la question habituelle: magie ou religion, nous répondons sans ambages que le Vodou est une religion.  (Yves Saint-Gérard 1992:22)                                 

 

A l’origine du Vodou haïtien, on trouve des composantes fondamentales des religions africaines qui, loin des rives du continent noir, ont fusionné avec des croyances chrétiennes, ou plus précisément catholiques.  Le corollaire de cette fusion est le syncrétisme que souligne Louis Maximilien:

 

Les adeptes du Vodou en Haïti ont unifié, dans leur conception, les deux cultes: Vodou et Christianisme.  Ils adorent quotidiennement le Dieu des chrétiens.  Ils observent les rites de la religion chrétienne.  Ils assistent à la messe et ils s’agenouillent dans les églises pour leurs prières et dévotions, comme tout bon chrétien.  Ils ne se sentent pas sortir de leurs croyances vodouesques intégrées dans les pratiques religieuses du christianisme.  (Maximilien 1945: 5)

 

Le Vodou haïtien est une religion monothéiste qui possède au plus haut dans son panthéon un Dieu suprême et unique, le même Dieu des chrétiens, le ‘Bondye’ ou ‘Gran Mèt’.  Celui-ci délègue certains pouvoirs aux ‘lwa’, les forces du bien qui agissent en son nom et avec sa permission.  Comme dans toutes les religions, le Vodou prescrit l’adoration et la vénération du ‘Gran Mèt’ et des autres êtres surnaturels de qui les adeptes attendent

 

...des remèdes à leurs maux, la satisfaction de leur besoins et l’espoir de se survivre   (Métraux 1958: 11)

 

Cependant, comme dans le cas du Lucifer et des autres démons des religions chrétiennes, certains ‘lwa’ du Vodou ont trahi la confiance du ‘Gran Mèt’ et lui ont désobéi.  Ils sont devenus des esprits vénaux et malfaiteurs: on les appelle ‘lwa dyab’, ‘movezespri’, ‘move lwa’.  Ils représentent les forces du mal et sont servis par de mauvais ‘houngan’ surnommés ‘bòkò’, spécialistes de cérémonies sacrilèges visant à faire du mal à autrui, et à donner satisfaction aux bas instincts de ceux qui viennent les consulter.

 


Depuis l’antiquité jusqu’aux temps modernes, l’homme a toujours manifeste sa foi dans l’existence de ces êtres surnaturels jouissant du pouvoir d’affecter sa vie.  Pour certains, c’est de la religion, pour d’autres, des superstitions, pour d’autres encore, de la magie.  Le choix de l’homme vraiment cultivé est clair: il doit faire montre de tolérance et de respect:

 

Dans le monde religieux - comme quelqu’un l’a déjà dit - trois attitudes peuvent être établies: une première qui est celle des gens qui considèrent toutes les religions comme un amas d’absurdités, ce serait inquiétant pour le genre humain; une deuxième est celle de ceux qui pensent que seule leur religion est vraie, et que les autres ne consistent qu’en une adoration d’idoles grossières, ce serait inquiétant pour eux-mêmes; et la troisième, enfin, accorde de la dignité à toutes les religions.  Cette dernière est la nôtre.  Et devant le Vodou qui comporte les éléments d’une véritable religion, notre disposition est respectueuse.                                                                                                  (Maximilien 1945: xxvii)

 

 

III - STRUCTURE CONTEMPORAINE

 

TEMPLES  - HOUMFO ET SOSYETE HOUMFO

 

Bien que le Vodou soit parvenu à harmoniser quelque peu certains de ses concepts, il est loin d’atteindre le niveau de systématisation organique qu’on trouve dans la plupart des religions modernes.  Chaque ‘houmfò’ ou temple est consacré aux ‘lwa’ de ses fidèles, et constitue une entité autonome placée sous l’autorité de ses propres ‘houngan’ ou ‘manbo’, prêtres et prêtresses aussi connus sous les noms de ‘papa  lwa’ et ‘manman lwa’ respectivement.  En plus de leur adhésion à un ‘houmfò’ en particulier, les adeptes constituent aussi une espèce de confrérie dénommée ‘sosyete houmfò’.  Celle-ci peut englober plusieurs sanctuaires, et est dirigée par un président choisi parmi les membres les plus prestigieux ou influents.  Houngan’ et ‘manbo’ sont assistés par un personnel hiérarchique, parmi lesquels:

 

leshounsi kanzo’ et les ‘hounsi’, ou initiés de haut rang,

leskonfyans’, ou apprentis-houngan,

leshougenikon’, ou directeurs de choeurs,

leslaplas’, ou maîtres de cérémonies,

lesogantye’, ‘boulatye’, et ‘triyangliye’, ou musiciens,

lesrènsilans’, ou huissières d’armes,

lesbagikan’, ou serviteurs des bagi

leskodrapo’, ou porteurs de drapeaux

lesbosal’, ou novices,     

lespèsavann’, anciens bedeaux ou sacristains défroqués connaissant par coeur les prières et les chants de l’Eglise catholique en latin ou en français, et qui, bien que ne faisant pas parti officiellement du clergé vodou, jouent le rôle du prêtre catholique dans les rituels qui ne sont pas du ressort du ‘houngan’ ou de la ‘manbo’.

 


On pénètre dans l’aire du ‘houmfò’ par le ‘pòtay’, barrière matérielle ou symbolique gardée par le grand ‘Legba’, maître des foyers et des chemins.   En ce qui concerne son apparence, le ‘houmfò’ est une maison ordinaire pas différente des résidences du voisinage.  En principe, elle devrait avoir au moins deux pièces, préférablement trois, construites en ligne.  Il peut arriver cependant que la situation économique du ‘houngan’ et de la ‘sosyete’ ne leur permette pas de disposer de plus d’une pièce.

 

La salle s’ouvrant sur la façade principale du ‘houmfò’ s’appelle le ‘bagi’.  C’est là qu’est placé le ‘pe’ ou autel.  Le ‘pe’ est une plate-forme en ciment ou en maçonnerie, de dimension variant avec celle du ‘bagi’, avec des ouvertures latérales servant à loger des offrandes.  Il peut y avoir plusieurs ‘pe’ dans un ‘bagi’, selon l’importance du ‘houmfò’ et les moyens de ses membres.  La deuxième pièce, à l’autre extrémité du ‘houmfò’, s’appelle le ‘sobagi’, et elle sert d’entrepôt pour les objets sacrés correspondant aux ‘lwa’.  La troisième pièce, celle du milieu, joue le rôle de couloir de communication entre les deux autres, et en temps opportun, peut remplir le rôle de ‘djevò’ ou salle d’initiation.

 

La surface des ‘pe’ doit être assez grande pour recevoir les nombreux objets rituels qui doivent s’y trouver, dont les suivants:  

 

                 un certain nombre de ‘govi’, cruches rituelles consacrées aux ‘lwa’ servis par le ‘houngan ou la ‘manbo’; elles sont enveloppées dans de la soie ou du velours de la couleur favorite du ‘lwa’;

                 un nombre indéterminé de ‘pòt tèt’, tasses rituelles en faïence blanche consacrées  aux ‘hounsi-kanzo’ du ‘houmfò’;

     un drapeau national, des étendards vodou, des fleurs;

     un crucifix, une lampe éternelle, comme en voit dans les Eglises catholiques.

 

 

Devant le ‘pe’, ou parfois sur le ‘pe’ lui-même, est creusé un petit bassin, le bassin de ‘Danbala’, ‘lwa’ des lacs et des rivières.  Dans les ‘houmfò’ où sont honorés les ‘lwa’ aquatiques, il est parfois assez grand pour qu’un personne s’y baigne.  Figés dans la terre devant le ‘pe’, se trouvent des ‘asen’, supports en métal servant à y attacher certains objets rituels.

 

A l’intérieur du ‘bagi’ on trouve des bouteilles de liqueurs, de rhum, de vin, et d’autres offrandes apportées aux ‘lwa’ par des serviteurs ou des visiteurs.  On y garde également les vêtements et ornements sacrés pour les adeptes en transe, tels que le chapeau de ‘Bawon Samdi’, ‘lwa’ de la mort, la béquille de ‘Legba’, maître des chemins, le chapeau de ‘Zaka”, ‘lwa’ de l’agriculture, etc.

                                                                


Les murs intérieurs du ‘houmfò’ sont peints en blanc et décorés de ‘vèvè’, emblèmes iconographiques des ‘lwa’ dont nous parlerons plus tard avec plus de détails, surtout ceux des ‘lwa’ protecteurs: par exemple,  le bateau de ‘Agwetawoyo’, maître des océans, le coeur de ‘Ezili’, ‘lwa’ de l’amour, les serpents de ‘Danbala’ et ‘Ayida’, ‘lwa’ des lacs et des rivières, etc.  On y voit également des images de saints catholiques, tels que Saint Jacques le Majeur, Saint Pierre, Notre-Dame du Perpétuel Secours, représentant respectivement ‘Ogou, ‘Legba’, ‘Ezili’.  Y est inscrit aussi le ‘non vanyan’ ou nom mystique du ‘houngan’ ou de la ‘manbo’ en charge du ‘houmfò’, non loin du drapeau national, des Armes de la République, de la photo du Président d’Haïti, et d’autres motifs patriotiques ou gouvernementaux.  Les murs extérieurs sont aussi décorés de motifs religieux ou nationaux.

 

Sur le terrain attenant à la façade principale du ‘houmfò’, celle qui s’ouvre sur le ‘bagi’, on trouve le ‘peristil’, hangar rectangulaire ouvert, de dimension variant avec l’importance du temple et le nombre de ses membres.  Les grands temples peuvent en avoir plusieurs, respectivement consacrés à des rites ou des ‘lwa’ différents, mais il y aura toujours un ‘peristil’ principal.  Au centre du ‘peristil’, s’élève le ‘potomitan’, colonne décorée de bandes multicolores, au pied de laquelle sont placés les objets sacrés des ‘lwa’ invoqués pendant les cérémonies et les offrandes.  Le socle du ‘potomitan’ est une construction circulaire en ciment ou en maçonnerie qui est en fait le ‘pe’ du ‘peristil’.  Le ‘potomitan’ représente le “chemin mystique” des ‘lwa’, la route qu’ils emprunteront pour venir s’incarner dans leurs fidèles au moment de ce que nous appelons la “théomorphose”, l’incarnation du ‘lwa’, ou la transe religieuse vodou (Férère 1989: 42).  C’est autour du ‘potomitan’ qu’ont lieu les prières, les invocations, les danses rituelles, et les offrandes sacrificielles aux ‘lwa’.  Le ‘potomitan’ peut être considéré comme le lieu le plus important du temple vodou.  Voici ce qu’en dit Alfred Métraux:

 

... le potomitan est le pivot des danses rituelles et reçoit pendant les cérémonies divers hommages qui attestent son caractère éminemment sacré.  La place qu’il occupe dans le rituel s’explique par sa fonction: il est le ‘chemin des esprits’, ou si l’on veut, l’échelle qu’ils empruntent pour descendre dans le péristyle lorsqu’ils sont invoqués.  (Métraux 1958: 67)

 

Si les moyens des ‘houngan’ ou ‘manbo’ le leur permettent, il peut y avoir dans la cour du ‘houmfò’ de petites cases, avec leurs petits ‘pe’ consacrés à des ‘lwa’ mineurs.  Egalement dans la cour, se trouvent des arbres dits ‘repozwa’, grands arbres sous lesquels les fidèles viennent prier.  Dans les alentours de certains ‘houmfò’, on peut parfois voir une construction qui ressemble à une tombe surmontée d’une croix, et sur laquelle sont déposées des offrandes: c’est l’autel des ‘gede’ ou esprits des morts.  Finalement, il y aura toujours sur la propriéeté, des animaux domestiques et des volailles de toutes sortes, cabrits, cochons, boeufs, coq, poules, pintades, pigeons, etc., attendant le jour où, après avoir été offerts en sacrifice aux ‘lwa’, ils serviront de nourriture aux fidèles et invités participant à la cérémonie. 

 


Le sacrifice rituel vodou est peut-être l’aspect le plus incompris et le plus calomnié de la religion haïtienne.  Toutefois, il est en parfaite harmonie avec la tradition classique qui a existé dans bien des religions, y compris le judaïsme et le christianisme, qui consiste à offrir un animal aux dieux pour obtenir leurs faveurs ou apaiser leur colère.  A aucun moment de son histoire, le Vodou n’a prescrit de sacrifices humains, comme l’ont prétendu malhonnêtement certains auteurs avides de sensationnel, tels que l’Anglais Spencer St. John dans Hayti or the Black Republic, ou l’Américain Houston Craig, enrôlé de la soldatesque pendant l’occupation américaine, dans Black Bagdad..  Mieux encore, certains ‘lwa’ préfèrent des sacrifices non sanglants, des offrandes tels que les légumes, les fruits, le rhum, les friandises, etc. 

 

                                                                

 

IV - LE PANTHÉON DES LWA

 

RITES

 

Les différentes liturgies du Vodou haïtien, dans leur ensemble et d’après leurs cérémonials et modes opératoires, ont été classifiées sous le titre de rites.  Les plus populaires sont le rite ‘Rada’ et le rite ‘Petro’, suivis d’autres moins importants parmi lesquels on peut citer les rites ‘Kongo, Nago, Dantò, Zanda, Kanga, Boumba, Kita’, etc.  Certains rites désignés sous les dénominations de ‘fanmi’ (famille), ou ‘nachon’ (nation) rappellent leur origine africaine: ‘Ibo, Siniga, Bandara, Awousa, Mondong, Ginen’, etc.

 

Chaque rite a un cérémonial, des invocations, des chants, des rythmes, des instruments qui lui sont propres.  Par exemple, dans les services ‘Rada’, le plus riche de tous les rites, les tambours sont au nombre de trois, ou en groupes de trois, et le plus grand s’appelle ‘manman penba’.  Les tambours ‘Petro’ vont par paires, le plus grand étant le ‘gwo baka’, le plus petit, le ‘ti baka’.  Ces deux rites diffèrent également au point de vue des caractéristiques et attributions de leurs divinités.  Les ‘lwa’ eux-mêmes ne sont pas obligatoirement différents, bien qu’ils le soient dans certains cas.  Les ‘lwa Rada’ sont censés être doux et bienveillants, tandis que les ‘Petro’ sont durs et exigeants.  Ceux-ci sont invoqués surtout à des buts matériels, ou pour la satisfaction d’ambitions personnelles.  Certains exigent parfois des engagements redoutables.  Par exemple, ‘bakoulo baka’ a la réputation d’être si féroce qu’on n’ose même pas citer son nom, voire l’invoquer.

 

En plus des rites cites ci-dessus, il convient de mentionner les cérémonies consacrées à la famille des ‘Gede’, ‘lwa’ des cimetières, esprits des morts, qu’il ne faut cependant pas confondre avec les âmes des morts.  Ils revêtent une grande importance dans la théologie vodou, mais n’appartiennent à aucun rite déterminé, à moins qu’on ne veuille reconnaître un rite ‘gede’.  Cependant, leur chef ‘Gede Nibo’ est inclus parmi les ‘lwa Rada’.  Les ‘gede’ jouissent d’une réputation de vulgarité, d’immoralité, et de dépravation.  Ils s’infiltrent par ruse dans les services des autres ‘lwa’, pour manger, boire, danser, jouer des tours, dire des mots sales, et en sont chassés par les fidèles s’ils se conduisent mal.

 

NOMENCLATURE

 


En vertu de raisons variées, dont leur nombre sans cesse croissant du au fait que, de temps en temps, les adeptes en créent de nouveaux en béatifiant les esprits des initiés décédés, un inventaire complet des ‘lwa’ vodou est difficile à dresser.  Le mot ‘lwa’ est celui qu’on emploie le plus souvent, mais on dit aussi ‘mistè, sen, zanj, espri’. Leur classement individuel sous les rubriques de rites, famille, ou nation, a été maintes fois tentée par les spécialistes du Vodou.  Un tel classement peut revêtir un certain intérêt, surtout pour les divinités mineures, si on veut retracer leurs origines africaines.  En ce qui concerne les ‘lwa’ majeurs, on les trouve dans pratiquement tous les rites, sous les mêmes vocables, ou sous des vocables quelque peu modifiés.  Par exemple, à ‘Ezili Freda Dahome’, déesse de l’amour dans le rite ‘Rada’, correspond une ‘Ezili Je Wouj Petro’ jalouse et prête à terrasser ses rivales.  Il reste donc entendu qu’à tout moment, les divinités les plus importantes peuvent appartenir, à tour de rôle, au rite que leurs fidèles auront choisi pour les servir.

 

Chaque divinité a des attributions et des pouvoirs particuliers.  En voici quelques exemples:

                

o       Legba’, le plus puissant et le plus importants de tous les ‘lwa’, l’intermédiaire entre le ‘Gran Mèt’ et les autres ‘lwa’, celui qui ouvre le chemin mystique aux ‘mistè, espri, zanj, sen, lwa’ qui veulent se manifester, détient les clefs du ‘pòtay’,  du ‘potomitan’, de tous les chemins et foyers.  Tous les services doivent commencer par le salut qu’on lui doit.  L’iconographie vodou le représente parfois sous l’aspect d’un vieillard courbé qui n’arrive à se déplacer qu’avec peine, en s’appuyant sur une béquille ou un bâton.  Méfiez-vous cependant de cette apparence trompeuse: ‘Legba a une force et une agilité extraordinaires qu’il infuse en ceux en qui il s’incarne.

o       Agwetawoyo’ ou ‘Agwe’, le Neptune du Vodou, ‘lwa’ de l ‘océan et patron des marins.

o       Ogou Balendjo, esprit marin guerrier, capitaine du bateau de ‘Agwetawoyo’,                    

o       Agawou’, génie des tempêtes, membre de l’équipage, partage ses pouvoirs avec ‘Badè’, esprit des vents, et ‘Sogbo’, ‘lwa’ de la foudre.

o       Le couple ‘Ayida’ et ‘Danbala Wedo’, ‘lwa’ de l’arc-en-ciel, des rivières, des lacs et des sources.

o       Loko Atiso’, ‘lwa’ des plantes médicinales, partage ses pouvoirs avec son cousin ‘Zaka’, ministre de l’agriculture, comme l’appellent les adeptes, celui qui fait croître les plantes.

o       Ogou Feray’, le forgeron, ‘lwa’ de la guerre et du feu.

o       Ezili’, la Vénus du Vodou, ‘lwa’ de l’amour, belle, coquette, sensuelle, exige que ses adeptes l’épousent - c’est ce qu’on entend par ‘maryaj Ezili’ - cohabitent et couchent avec elle dans une chambre spéciale, deux jours par semaine, les jeudis et mardis.

 

La liste suivante que nous limitons intentionnellement donne une idée de la vaste étendue du panthéon des ‘lwa’. (Sources: Métraux, Rigaud, Benjamin, et recherches personnelles)

 


            Achade Boko                           Danbala Yawe                                      Labalèn

            Achade Bosou                          Djobolo Bosou                                     Loko Atiso

            Ayizan                                      Ezili Freda                                            Marasa/Dosou/Dosa

            Adelayid                                   Ezili Je Wouj                                        Marinèt Bwachech

            Aganman                                  Ezili Boumba                                        Makanda

            Agasou                                     Ezili Dantò                                            Mèt Kafou

            Agawou Tonnè                         Ezili Towo                                            Ogou Achade

            Agawou Wedo                         Ezili Mapyang                                       Ogou Balindjo

            Agwetawoyo                            Grann Alouba                                       Ogou Badagri

            Amisi Wedo                             Grann Ayizan                                        Ogou Batala

            Anwezo                                    Grann Brijit                                           Ogou Chango

            Atibon Legba                           Grann Ezili                                            Ogou Donpèd

            Avadra Bon Wa                       Grann Simba                                        Ogou Tonnè

            Awoyo                                     Grann Sogbo                                        Silibo

            Azaka Mede                            Ibo Lazil                                               Sofi Badè

            Azagon                                     Ibo Lele                                               Sogbo

            Badè                                        Ibo Kikilibo                                          Ti Pyè Dantò

            Bayakou                                   Ibo Kosi                                               Ti Jan Petro

            Belvenis Bosou Twakòn           Ibo Petro                                              Twafèy Twarasin

            Boko Legba                             Kanga                                                  Towo Petro

            Brize Makaya                           Klemezin Klèmèy                                 Twa Simbi

            Brize Penba                              Legba Atibon                                       Zazi Boutonnen

            Dam Tenayiz                            Legba Ayizan                                       Zaka

            Danbala Wedo                         Legba Evyeso                                       Zenglen Zen

            Danbala Flanbo                        Lenglensou

            Danbala Gran Chimen               Lasirèn

 

De la famille des ‘Gede”:

 

            Gede Doktè Piki                       Gede Soufrans                                      Bawon Sanmdi

            Gede Fatra                               Gede Tikaka                                        Bawon Lakwa

            Gede Loray                              Gede Tipete                                         Bawon Simityè

            Gede Mòpyon                          Gede Trase Tonm                                 Kaptenn Zonbi

            Gede Pisenandlo                       Gede Zarenyen                                     Jeneral Fouye

                 Gede Senk Jou Malere             Gede Nibo

                                                                

 

 

 

V - ICONOGRAPHIE

 

A cause de sa nature syncrétique, le Vodou haïtien a développé une iconographie binaire dans laquelle on peut observer simultanément et l’influence européenne, et la présence du substrat africain, quant à la représentation d’un grand nombre de divinités.  Cette représentation se retrouve, à la fois, sous la forme d’images de saints catholiques, et sous celle des dessins dénommés ‘vèvè’ que nous avons mentionnés précédemment.

 


VEVE

 

Les ‘vèvè’ sont des dessins symboliques que le célébrant, à la fois prêtre et artiste trace autour du ‘potomitan’, au début des cérémonies, en s’adressant, par des formules sacramentelles, aux ‘lwa’ qu’ils représentent. Ils sont d’une importance capitale aux cérémonies, car ce sont eux qui identifient les ‘lwa’ invoqués et dont on s’attend à la descente par le ‘potomitan’.  Selon les rites et les divinités, le dessin se fait avec de la farine de blé ou de maïs, du café moulu, des cendres de charbon de bois, et même de la poudre à canon pour les ‘lwa’guerriers et certains ‘lwa’ Petro.  Si les esprits invoqués sont nombreux, plusieurs ‘vèvè’ peuvent s’enchaîner autour du ‘potomitan’ et couvrir une grande partie de la surface du ‘peristil’, pour former ce qu’on appelle un ‘milokan’.

 

En plus de l’autel du ‘peristil’, c’est sur les ‘vèvè’ que sont déposés les offrandes, et les animaux, aliments et boissons destinés aux ‘lwa’.  Les adeptes croient dans leur pouvoir d’attirer les divinités.  De nombreux auteurs ont fait des recherches sur l’histoire et l’évolution des ‘vèvè’, et semblent être, en général, relativement d’accord sur leur origine cosmopolite, mais avec quelques divergences.  Alfred Métraux en fait ressortir les traits afro-européens:

 

Si les vèvè sont d’origine dahoméenne, leur style est nettement européen.  Les volutes et les entrelaces rappellent les motifs de ferronnerie et les broderies à la mode au XVIII siècle.  (Métraux 1958: 148)

 

Maximilien nous conduit dans l’Amérique des périodes colombienne et pré-colombienne, tout en ajoutant l’influence de la magie occidentale:

 

... les vèvè descendent de la tradition religieuse des Indiens.  Ces derniers les réalisaient par des procédés analogues à ceux des Haïtiens.  Au cours des temps, les motifs indiens ont été partiellement remplacés, sous l’influence coloniale française, par ceux de la magie.   (Maximilien 1945: 42)

 

Quant à René Benjamin, bien que ne rejetant pas la théorie pré-colombienne de Maximilien, il n’est cependant pas tout à fait d’accord avec l’hypothèse du remplacement des motifs indiens par ceux de la magie:

 

Il est certain que beaucoup d’emprunts ont été faits de la magie française par le Vaudou.  Cependant, quant à des emprunts faits de pentacles et talismans, cela ne semble pas considérable dans l’élaboration des vèvès, quoi qu’on dise.         

(Benjamin 1976: 44)

 

Et après une excellente discussion du sujet dont nous recommandons la lecture à ceux qui voudraient l’approfondir davantage, l’auteur de Introspection dans l’inconnu conclut en mettant l’accent sur le caractère symbolique des ‘vèvè’:

 

En définitive, la conception du ‘vèvè’ tient du symbolisme qui vise à représenter une idée abstraite par un dessin, une image concrète .... Les motifs utilisés pour son élaboration sont, en général, tirés soit des effigies et images de saints de la religion catholique, soit de marques de fabrique de vase précieux, pièces de porcelaine en provenance de l’Europe, soit de monogrammes de fabricants européens connus à Saint-Domingue.  (Benjamin 1976: 52)

 

 

IMAGES

 


Les interprétations erronées de la symbiose Vodou-Catholicisme ont causé pas mal de controverses, de déboires et de calomnies.  Tandis que les adeptes du Vodou ne voient aucun mal dans le mélange de leur héritage africain avec les croyances chrétiennes, les clergés chrétiens et leurs ouailles trop zélées, aujourd’hui les protestants plus que les catholiques, font montre du sectarisme le plus intransigeant.  En parlant du syncrétisme en question, on peut noter, par exemple,  la pratique fidèle de la religion catholique par les adeptes du Vodou, et le parallélisme qui existe entre les dates du calendrier festif chrétien et celles de célébrations vodouesque: la Fête des Morts catholique et le Service des ‘Gede’ le 2 novembre, le Noël Vodou quand ont lieu des bains rituels de purification pour obtenir la protection des ‘lwa’, les célébrations de la Semaine Sainte, etc.  Mais le trait le plus visible de l’influence catholique est l’assimilation d’un bon nombre de ‘lwa’à des représentations picturales de saints.  Plusieurs listes illustrant cette correspondance ont été publiées par des auteurs qui nous ont précédé.  Elles ont la vertu de susciter l’intérêt immédiat des lecteurs, et nous ne nous déroberons pas à cette tradition.  Cependant, il importe au préalable de mettre le profane bien au courant de la vraie signification religieuse de la correspondance, pour qu’il ne la prenne pas à la lettre.  Explorons donc l’origine et le sens de cette pratique.

 

L’usage des images catholiques pour représenter les ‘lwa’ découle d’un subterfuge auquel les esclaves eurent recours quand, en prise à l’interdiction formelle qui leur était faite de pratiquer leurs propres religions, ils se mirent à feindre d’adorer les saints catholiques, tandis qu’en réalité ils servaient leurs ‘lwa’.  Une image catholique ainsi adoptée comme représentation d’une divinité vodou ne jouit pas d’une telle vénération à cause des vertus chrétiennes du saint ou de la sainte, mais plutôt à cause de leur nom ou d’un détail iconographique de l’image.  C’est ainsi donc, par exemple, que le chromo de Saint Joseph avec les lys à la main correspond à ‘Loko Atiso’, ‘lwa’ des plantes médicinales, et que Saint Pierre correspond aux ‘lwaPyè Dantò’ et ‘Pyè Danbala’.  C’est ce même genre d’analogie qui a déterminé que Saint Patrick et l’Immaculée Conception avec les serpents à leurs pieds soient assimilés au couple de ‘lwa’ serpents ‘Danbala Wedo’ et ‘Ayida Wedo’.  Il arrive également que la même image corresponde à plusieurs lwa, comme on peut le voir dans la liste suivante.  (Sources: Métraux, Benjamin, et recherches personnelles.)

 

Achade Ogou                                       Saint Jacques le Majeur

Agwetaroyo/Agwe                               Saint Ulrick

Ayida Lakansyèl                                   N.D. du Mont Carmel

Ayida Wedo                                         Immaculée Conception

N.D. d’Altagrâce                     

                 Ayizan                                                  Sainte Lucille

Bawon Lakwa                                      Saint François d’Assises

Bawon Sanmdi                                     Saint Gérard Magella

Bosou Twa Kòn                                   Saint Vincent de Paul

Danbala Lakansyèl                               Saint Moïse

Danbala Wedo                                     Saint Patrick    

Ezili                                                      Mater Salvatoris

N.D. du Perpétuel Secours

Grann Alouba                                       Mater Dolorosa

Grann Aloumandya                               Mater Dolorosa


Grann Batala                                        Sainte Anne

Grann Brijit                                           Sainte Brigitte

Grann Ezili                                            Mater Dolorosa

Gede Nibo                                           Saint Gérard Magella

Jan Batis Trase Tonm                           Saint Jean Baptiste

Kaptenn Zonbi                                     Saint François d’Assises

Klemezin Klèmèy                                 Sainte Claire

La Sirèn                                               Caridad del Cobre

Legba Atibon                                       Saint Antoine de Padoue

Legba Mèt Pòtay                                  Saint Pierre

Legba Mèt Kafou                                 Saint Lazare

Legba Nago                                         Saint Jacques le Majeur

Lenglensou                                           Saint Michel

Loko Atiso                                           Saint Joseph

Marasa                                                 Saint Côme et Saint Damien

Ogou Badagri                                       Saint Jacques le Majeur

Ogou Balindjo                                      Saint Jacques le Majeur

Ogou Batala                                         Saint Philippe

Ogou Feray                                          Saint Georges

Ogou Chango                                       Saint Georges

Pyè Danbala                                         Saint Pierre

Pyè Dantò                                            Saint Pierre

Silvani Mede                                        N.D. de Lamercie

Simbi Twa Kafou

            Simbi Yandezo                                     Les 3 Rois Mages

Simbi Bwa                               

Simbi Dlo                                             Saint Raphael

Ti Jan Dantò                                         Saint Jean l’Évangéliste

Zaka                                                    Saint Isidore

 

 

 

 

 

                                                                

VI - CONCLUSION

 

POUR UNE GUÉRILLA DE LA CULTURE NATIONALE

 


En terminant, je voudrais réitérer mes modestes intentions en écrivant ce court essai: contribuer à une meilleure compréhension et une plus bienveillante diffusion des croyances  religieuses haïtiennes héritées de la Mère Afrique.  Tout au long de son existence, le Vodou haïtien n’a pas cessé d’être la victime d’attaques injustes, de critiques sans fondement, d’accusations malveillantes émanant tant de l’étranger que d’Haïti même: calomnies dans les ouvrages de Seabrook, Spenser St. John, Houston Craig et tant d’autres; reportages abusifs dans les presses étrangères; exploitation impudente par les metteurs en scène du cinéma et de la télévision, intolérance et ignorance de la part d’un bon nombre de compatriotes, persécution par les clergés chrétiens, etc. etc.  Et n’est-ce pas bien vrai que beaucoup d’Haïtiens, des citadins surtout, soi-disant éduqués, n’arrivent toujours pas à accepter que le Vodou est une religion comme toutes les autres, le couvrent de leur mépris,  lui collent l’épithète de superstition ou de magie et souhaitent  sa disparition?  Dans certains cas, une telle attitude est la séquelle de l’ignorance ou du lavage de cerveau systématique auquel ils ont été soumis, soit par des prêtres et des pasteurs sectaires, soit par un système scolaire qui place les valeurs étrangères au-dessus des nôtres; dans d’autres, il s’agit d’un complexe social émanant du désir de s’assimiler à une culture d’adoption européenne avec laquelle, quoi qu’on fasse ou dise, on ne cadrera jamais tout à fait, car nos souches demeurent irrémédiablement africaines.

 

En 1953, Milo Rigaud, dans La Tradition Voudou, soulignait l’habileté du Vodou à “se survivre perpétuellement”.  Vers la même époque, Alfred Métraux, dans le Vaudou haïtien, affirmait le contraire: sa conviction “qu’il devra disparaître”.  Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, il survit encore et continue à rendre des services appréciables quant à la santé mentale de nos compatriotes: en face des tribulations qui les assiègent chaque jour, le culte leur offre une source d’espoir, une illusion peut-être, l’impression qu’ils peuvent, grâce aux ‘lwa’, contrôler un peu leur ambiance spirituelle et matérielle.

 

Des gens peut-être bien intentionnés reprochent au Vodou ce qu’ils appellent son ‘primitivisme’.  Ils y voient un obstacle au progrès. Personnellement, nous pensons que la plupart des apparences soi-disant primitives du Vodou n’ont rien à voir avec la religion elle-même, avec ses croyances ou ses traditions.  Elles ne sont en réalité que le reflet des désastreuses conditions politiques, sociales et économiques qui ont prévalu chez nous à travers l’histoire, et qui continuent à prévaloir.  Il ne peut donc s’agir d’accuser la religion de primitivisme, quand en fait, elle est victime, comme le pays tout entier d’ailleurs, de la ‘survivance perpétuelle’ de la misère, de l’anxiété, de la peur, de la faim, des maladies, de la crainte du lendemain, de l’ignorance, des abus d’autorité, de l’exploitation sans merci.

 

Que nos adeptes vodouisants arrivent à se libérer des ornières de leur pauvreté perpétuelle, que les ‘houmfò’ ne logent plus dans de misérables chaumières, que les poteaux mitans soient construits en bois sculptés avec des socles en marbre, que les assons soient décorés de pierres précieuses et non de morceaux de bouteille, que nos ‘houngan’ et ‘manbo’ arrivent à avoir le formation intellectuelle et théologique des René Benjamin, Milo Rigaud, ou Max Beauvoir, alors, on verra ce ‘primitivisme’ s’évanouir par le miracle du progrès et de l’éducation. 

 

Le bon combat pour notre pays, il faut le mener chez nous, en nous, et partout.  Il faut l’étendre sur d’autres fronts, bien au-delà des frontières de la religion Vodou.  Aujourd’hui plus que jamais, notre pays a besoin d’une vraie cure de réhabilitation de son prestige et de sa réputation.  Au seuil du XXIe siècle, ils faut que tous, sur la terre natale ou de notre exil peut-être définitif en diaspora, nous nous engagions dans une vraie guérilla de la culture nationale.

 

 

 

 


BIBLIOGRAPHIE

 

 

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BIOGRAPHIE

 

 

Gérard Alphonse Férère, docteur en linguistique, Université de la Pennsylvanie, est né au Cap-Haïtien.  Après ses classes primaires et secondaires à Port-au-Prince sous la direction de son père, l’éducateur Alphonse Murville Férère, il obtint, par voie de concours, une bourse d’études à l’Académie Navale du Venezuela.  A son retour en Haïti, il servit pendant quatre ans comme officier des Garde-Côtes, durant le gouvernement du Président Magloire, mais fut forcé de prendre l’exil après l’accession de François Duvalier, quand celui-ci ordonna son assassinat, lors du massacre des officiers et anciens officiers qui avaient osé se soulever contre la dictature en avril 1963.  Aux Etats-Unis, il poursuivit des études supérieures jusqu’à l’obtention du doctorat.  Gérard Alphonse Férère est Professeur Emérite de Langues et de Linguistique à Saint Joseph’s University, Philadelphie, et réside actuellement à Boca Raton, en Floride.  Parmi ses publications: Haitian Creole: Sound-System, Form-Classes, Texts (1974); Haitian Voodoo: its True Face (1976); What is Haitian Voodoo (1979); Le Vodouïsme Haïtien/Haitian Vodouism (1989); 1492: Le Viol du Nouveau Monde (essai collectif) 1996; En Grandissant sous Duvalier: l’agonie d’un état-nation (essai collectif) 1999.  En maintes occasions, Férère a publié également de nombreux articles sur la conjoncture haïtienne.  Il est membre de plusieurs organisations de la Diaspora, et cofondateur de la ‘Coalition for Haitian Concerns’ de Philadelphie.